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  semaine 13 : Brioché   

La récolte : Brioché, chaud, couronne, miam, terroir, levain, ventru, bébé, Marie Antoinette, loriot, impact, trempette, bateleur, moelleux.
Les confitures

Le rendez vous du Pont Neuf

 

Jean Brioché fut un bateleur célèbre de la fin du 17e siècle. Il opérait autour du Pont Neuf à Paris. Un soir d’automne qu’il faisait chaud le Roi Louis XIV lui-même, monté sur un cheval blanc, décida de passer le pont pour rejoindre Le Louvre.

Il bouscula par mégarde notre bateleur, lequel le reconnaissant l’apostropha brutalement. « Miam miam j'ai faim de tes richesses, ta couronne me tente » lui cria-t-il. Des gardes se précipitaient déjà sur le marionnettiste. Le Roi les arrêta d'un geste. « Brioché s’amuse » commenta-t-il. « Il est jaloux de ma gloire. Échangeons nos terroirs le temps d’une journée. Tu prends mon corps ventru, tu montes mon cheval et dors dans mon lit chaud et moelleux. Pendant ce temps, moi je vais rejoindre ta femme Marie Antoinette, je mange la crêpe au levain et tandis qu’elle bercera le bébé j’écouterai le loriot siffleur. Demain nous nous retrouverons au même endroit et tu me diras si tu veux poursuivre l’aventure ».

 

Ainsi fut fait. Quand les deux compères se revirent le bateleur se précipita sur son souverain. « Jamais plus » cria-t-il. « Toute la journée, me prenant pour le roi, tes sujets m’ont brocardé, réclamant des pièces d’or, me crachant dessus. Ta femme, je ne l’ai même pas vue ; elle a disparu Dieu seul sait où et avec qui, toute la nuit. Je te rends ce que tu m’as prêté et rentre en mon logis. » 

 

« Tu vois, conclue le Roi, le funeste impact du pouvoir dans ma vie. Tu as fait trempette avec le pouvoir pendant moins d’un jour et tu n’en peux déjà plus. Moralité. Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut Emploi». Le Roi reprit sa couronne et son cheval et Brioché réenfila ses marionnettes ; chacun, au grand bonheur de ses clients.

 

Léon Lagouge

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Les parents, toujours les parents… On ne sait pas ce qui leur passe par la tête, surtout quand leur vient un enfant — et ce, par quel mystère, nul ne l'a encore compris… — et que cet enfant, ce bébé qui leur tombe d'on ne sait où, il faut bien lui donner un nom, car "ce qui n'a pas de nom n'existe pas", selon le vieil adage de cette humaine espèce, calamité ambulante et prolifique qui fait le malheur des autres espèces, mais passons, car c'est une vieille querelle qui n'est pas près de finir.

Toujours est-il que "ils" l'avaient appeléE (car c'était une fille), appelée, dis-je, Marie-Antoinette.

Oui, quand je vous dis qu'on ne sait pas… c'est qu'on ne sait pas, hein. Parce qu'il faut le faire, quand même, appeler son enfant du nom de quelqu'un qui a perdu la tête… Vous voyez ce que je veux dire.

Eh bien, ils avaient réussi leur coup, car cette pauvre enfant, la première chose qu'elle avait dite, quand les grand-parents — ah, les grands-parents, encore une autre calamité de l'espèce humaine — lui avaient demandé (selon cette stupide habitude des humains) ce qu'elle « voulait faire plus tard » (mais je vous demande un peu, comme si votre raison d'être sur la Terre était de "faire quelque chose plus tard" !), cette pauvre enfant, donc, avait répondu « boulangère » !!!

Impact, incrédulité, stupéfaction, effondrement, atterrement des parents, des bateleurs qui rêvaient de faire de leur fille une acrobate renommée…

Bien fait, tiens !!! Z'avaient qu'à pas !

Et la gamine n'en démordit point ! Explications, supplications, menaces, rien n'y fit : boulangère elle voulait être, et boulangère — il fallut bien s'y résoudre —, elle devint.

Dans l'immédiat, on mit un peu l'affaire sous le boisseau, histoire de laisser se tasser l'inconcevable, dans l'espoir, même, que le funeste projet disparaîtrait du juvénile esprit.

Mais un jour que la famille, en tournée dans le terroir profond, faisait, pour se délasser de la journée, trempette dans un cours d'eau, la gamine tomba en amour pour un mitron de belle allure, frais et rose, et pourvu, quand il s'agissait de parler de son métier, d'un bagout digne de Robespierre et Danton réunis, ce qui n'est pas peu dire, même si la métaphore est un peu osée, je vous l'accorde, vu que le gars s'appelait Louis…

…Or doncques, les années passèrent et ce qui devait arriver, arriva.

Apprentissage du métier, et parallèlement fiançailles avec ledit mitron (oui, c'était dans l'Ancien Temps, on se fiançait…), publication des bans, mariage ! Adieu la famille de saltimbanques, bonjour la chaleur odorante des fournées, qui réchauffait le cœur même en hiver.

Petites économies sur les petits salaires chez un patron pas trop chiche quand même, et petit à petit, les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, les petites économies ouvrirent un jour petite boutique dans un petit village heureux d'accueillir ce jeune couple enthousiaste.

…La gloire, cependant, leur vint un jour d'avril, sur un coup de génie de la boulangère qui, depuis beau temps, souhaitait ajouter à leur enseigne "Boulangerie", le beau terme de "Pâtisserie".

Aux approches de Pâques, désireuse de proposer une sublime couronne briochée à ses premiers clients (j'ai failli dire « ses premières ouailles », confondant malencontreusement le saint sacrifice avec l'office sacré du boulanger…), elle prépara un divin levain, dont rien que le parfum, déjà, amenait un "miam" aux lèvres de l'olfacteur. Elle passa ensuite la veille de Pâques à élaborer des pâtons ventrus, dont la douceur au toucher faisait penser à des fesses de bébé.

Puis, avant même le lever du soleil pascal, le jeune couple se précipita vers le four pour l'ultime transmutation. C'est alors qu'un loriot, probablement entré à la faveur de l'ouverture de la porte, se posa sur le plan de travail, goutte d'or illuminant l'atelier, et se mit à flûter son chant joyeux.

Coup de cœur ! Marie-Antoinette reçut cette visite comme un augure, et se mit à découper dans une pâte d'amande des silhouettes d'oiseau qu'elle dora à l'œuf, et qu'elle déposa sur ses brioches en forme de couronnes. Cette innovation fut perçue comme un cadeau par les premiers acheteurs qui venaient chercher le chaud support du petit-déjeuner pascal. Mais le fait que les brioches dépassaient en moelleux tout ce qu'on avait l'habitude de trouver dans le genre, n'était pas non plus un argument négligeable dans l'affaire.

Peu après, la boulangerie reçut la visite d'un célèbre critique gastronomique, alerté par un ami qui possédait une résidence secondaire dans le village.

Quelques jours plus tard, Marie-Antoinette et Louis passaient sur la chaîne nationale de télévision, et — au-delà du gag involontaire de leurs prénoms prédestinés — la renommée de leur savoir-faire devait bientôt se développer à l'échelle mondiale. On vint en convoi pour s'approvisionner chaque semaine. Ils durent embaucher.

La nouvelle enseigne "Au Loriot - Boulangerie - Pâtisserie" fut commandée à un maître-orfèvre qui ne lésina pas sur la feuille d'or pour polir la silhouette du loriot qui l'ornait.

Leur fortune était désormais assurée.

Ils officient toujours dans leur petite boutique, la célébrité ne leur a pas tourné la tête : si vous passez dans leur région, n'hésitez pas à leur faire visite. Ils sont restés d'une simplicité exemplaire, et leur "brioche au loriot" reste une révélation en matière de subtilité pâtissière.

 

Sagiterra 

 

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Quelque chose de semblable

Enfoncé dans son moelleux,

la trempette de Marie Antoinette.

Le bateleur de tempête,

le levain ventru et

ses miasmes de miam en couronne.

Des nuages buboniques encombrent

un ciel devenu bébé brioché.

Avec brio, un pacte de terroir,

le chant chaud de loriot,

Quelque chose de semblable

Si le ciel est brioché, ma tête est bouchée. Comment être à l'écoute, la tète sous l'oreiller moelleux, débris à l’abri. Hochet lâché là. Polichinelle tatoué à la chélidoine. Ôtez le corset !. Le corps sait, mais qui a la clé ? Qui ? Mon crie se mêle au chant du loriot. La sittelle tambourine. Je me bat contre des ennemis invisibles, en tout lieu. Je sens les regards. Rencontrer les autres, la tempête dans la tête ? Quand je danse, les autres sont là invisibles avec brio, un rêve de dialogue s'esquisse. Un oreiller moelleux recouvre la salle de danse.

Crier à tue-tête, se détêter.

 

Eric Bardin

 

 

Léon Lagouge

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Tout petit, en creux d'esprit, tu le regardes. Les joues briochées, le front chaud, la bouche en miam, les fesses trempettes...

Panse ventrue, cuisses plissées, timbre loriot, il te roucoule du passé.

Etrangeté. Etrange jeté d'un bout à l'autre d'une histoire qui se déroule, s'enroule, spirale vers le noir.

Tu le regardes d'un point du temps où même si tu sais, si ta raison te dit que... Oui absolument, raisonlument...

Oui c'était bien toi, ce bébé. Ce petit peu fragile et puissant, couronné d'innocence et d'intensité ; cette présence crue et nue, affolée du choc de l'impact, de la chute au terroir, petit polichinelle trop tôt sorti d'un tiroir si moelleux qui se débat déjà contre et avec.

Marie, Antoinette, Elisabeth, des étiquettes au goût désuet, déjà portées par celles qui avant toi... vaille que vaille dans la bataille... Ton sort scellé sur le dernier.

 

Il ne reste que ça. Le nom. Aucune sensation, sous venir, d'être ou d'avoir été, jamais, ce petit être. Comment se reconnaître être à naître ? Peu de lien au levain qui gonfle un horizon dérivé. Ailleurs. Celui d'un bateleur qui a fui leurs chemins pour tracer vaille que vaille dans la poussière le sien.

 

elisabeth celle

 

 

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Brioché - Pascal Schaeffer
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Brioché sonore

Pascal Schaeffer

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